Vous êtes ici : Accueil > Actualités > > Pour un Droit commun de l'indemnisation du Dommage corporel. Article Gazette du Palais

Pour un Droit commun de l'indemnisation du Dommage corporel. Article Gazette du Palais

07/06/2012
Les principes régissant l’indemnisation d’un préjudice
corporel sont et doivent demeurer uniques.

C’est pour un droit commun de l’indemnisation
que je plaide.

Ceci étant posé, le recours de plus en plus fréquent
à des fonds d’indemnisation (pour des raisons
notamment économiques que d’autres ont
analysé avant moi) peut laisser penser qu’à côté de
ce droit commun de l’indemnisation se profile un
droit spécifique.

Pourtant, ces fonds revendiquent l’application de
principes qui nous sont chers et notamment celui
de la réparation intégrale du préjudice. Ils en revendiquent
également d’autres plus inédits : rapidité,
formalisme allégé, gratuité notamment de l’expertise...
La réalité est-elle à la hauteur de l’ambition ?
Ces procédures hybrides (ni transactionnelles ni
juridictionnelles) sont-elles de nature à préserver les
droits des victimes en termes d’indemnisation ?
Sur tout le processus d’indemnisation, la procédure
est-elle de nature à permettre aux victimes de
faire valoir leurs droits et de voir leurs demandes
indemnitaires examinées par un organe économiquement
indépendant ?

Je m’intéresserai plus particulièrement à la procédure
devant les CRCI et son organe payeur,
l’ONIAM.

Pourquoi ? Tout d’abord, mon activité essentiellement
consacrée à la responsabilité médicale me
confronte fréquemment au dilemme procédure
contentieuse ou CRCI. Et puis, cette activité, je l’ai
commencée alors que la loi du 4 mars 2002 instaurant
les CRCI et la possibilité de voir les conséquences
d’un aléa thérapeutique indemnisées, était en
discussion.

On attendait alors beaucoup des CRCI. Beaucoup
trop ?

Aujourd’hui, loin de moi l’idée de remettre en cause
l’opportunité d’une indemnisation au titre de la
solidarité nationale dans certaines hypothèses spécifiques.

Pour autant, ces modes d’indemnisation ne sont
pas exempts de toute critique : les garanties procédurales
qu’offrent traditionnellement les procédures
juridictionnelles et qui ont vocation à permettre
in fine une indemnisation intégrale (égalité des
armes entre la victime et l’organe payeur, respect
du principe du contradictoire...) n’ont pas le même
écho dans le cadre de ces procédures parallèles (I).

Et si vous associez à un contradictoire un tant soit
peu défaillant un barème d’indemnisation, les
inquiétudes quant à une indemnisation juste et
intégrale en sont renforcées (II).

I. QUAND LES GARANTIES PROCÉDURALES
FONT DÉFAUT

1 – Des garanties procédurales effectives

a – Une égalité des armes relative

Les fonds d’indemnisation revendiquent la rapidité
et la facilité du processus d’indemnisation incitant,
de fait, les victimes qui ne connaissent ni la
médecine ni le droit, à cheminer seules sur la voie
de l’indemnisation.

Néanmoins, la victime qui adresse son « formulaire d’indemnisation » téléchargé sur le site Internet
de la CRCI, se retrouvera bien vite désarmée
lorsque le processus sera lancé : seule à l’expertise,
seule devant la CRCI, seule dans sa discussion sur
le montant de l’indemnisation de ses préjudices
avec l’ONIAM, le cas échéant, avec l’assureur.

C’est alors un lieu commun que de conclure à une
inégalité manifeste des armes.

L’accompagnement des victimes qui demeurent
trop souvent mal informées face à des professionnels
techniciens dont elles ne parlent pas le langage
est essentiel, y compris, et je dirais peut-être
même surtout, dans le cadre d’une procédure supposée
être accessible, facile, rapide...

Un exemple parmi d’autres des conséquences de ce
défaut d’assistance. Les victimes ignorent le plus
souvent la nature des postes de préjudices indemnisables.
Pas plus que les juridictions, les fonds ne
se prononcent ultra petita. Or, si pour un conseil
non coutumier de la matière, « l’omission » d’un
poste de préjudice est possible, que dire d’une victime
dépourvue de toute notion.

Pourtant, le législateur a reconnu ce droit d’être
assisté par « la personne de leur choix »
(article 1142-16 du CSP) ; il importe que la victime
en soit effectivement informée.
Dans les faits, rien (ou si peu) n’est mis en oeuvre
afin de favoriser, à tout le moins faciliter, cette
assistance. C’est ainsi qu’une demande de renvoi
devant la CRCI (dans l’attente d’un avis d’un technicien
sur le rapport d’expertise) vous est refusée
sans que l’on se prive de vous rappeler que l’assistance
d’un avocat n’est pas obligatoire...

Enfin, l’effectivité d’une assistance compétente suppose
la mise en place d’une aide pour les moins
favorisés. Or, l’assistance d’un avocat au titre de
l’aide juridictionnelle devant la CRCI n’est pas prévue,
comme devant toute autre commission administrative
(en dépit des revendications de notre profession,
par la voix notamment du CNB, sur ce
point) alors même que ces procédures mettent en
cause des droits aussi fondamentaux que ceux de
la réparation d’un préjudice corporel.

À noter également l’incohérence d’un tel système :
l’aide juridictionnelle est possible devant la CIVI
mais pas devant la CRCI. De même, l’octroi d’une
aide juridictionnelle n’existe pas pour la saisine du
FIVA mais sera accordé en cas de contestation de
l’offre du FIVA devant la Cour d’appel...

Un progrès néanmoins,
l’ONIAM a ajouté dans « sa » nomenclature des préjudices
patrimoniaux, une aide a posteriori plafonnée
à 700 Q par victime pour financer son accompagnement
(médecin-conseil et avocat). Il ne s’agit
pas d’une aide sur le modèle de l’aide juridictionnelle
sous conditions de ressources mais sur justificatifs
et, bien entendu, forfaitaire. Demeurons
néanmoins pragmatique : cette aide, octroyée en fin
de procédure donc trop tard, n’est pas réaliste en
termes de quantum.

b – Un contradictoire malmené

Prenons l’hypothèse d’un dossier relatif à un aléa
thérapeutique dans le cadre d’une procédure CRCI.
Peut-on véritablement considérer que la procédure
est contradictoire lorsque l’ONIAM n’est pas
représenté à l’expertise ordonnée par la CRCI (alors
qu’il l’est lorsqu’il s’agit d’une expertise judiciaire) ;
lui permettant, le cas échéant, dans le cadre d’une
procédure contentieuse post-CRCI d’arguer de
l’inopposabilité du rapport d’expertise ?

De même, le respect du contradictoire est tout aussi
problématique devant la CRCI. En effet, lorsqu’il est
question d’une responsabilité pour faute, la contradiction
est assurée par l’établissement de santé ou
le praticien le plus souvent représenté. Tel n’est pas
le cas lorsqu’il est question d’une potentielle
indemnisation au titre de la solidarité nationale dès
lors que le payeur, l’ONIAM, n’assure pas cette
contradiction.

Il en résulte, et c’est loin d’être une hypothèse
d’école, que la Commission peut retenir des arguments
qui n’ont pas été soulevés au cours de la réunion
et sur lesquels la victime n’a en conséquence
pas été mise en mesure de s’expliquer.

2 – Un processus d’indemnisation obscur

a – L’ONIAM : juge et partie ?

Aux termes d’un arrêt de la Cour administrative
d’appel de Versailles du 12 janvier 2006, la CRCI est
définie comme « un organisme dépourvu de
caractère juridictionnel en dépit des garanties
d’impartialité et d’indépendance qui lui sont
reconnues par la loi ».

Rappelons pourtant que l’ONIAM siège au sein de
ladite commission faisant de lui de facto, un juge
(il prend part aux délibérations et à l’élaboration de
l’avis) et une partie (il a un « intérêt » à la procédure
en tant que débiteur de la créance indemnitaire).
Alors ce n’est certes pas un organe juridictionnel,
mais j’ai du mal à ne pas évoquer l’article 6 de la
CEDH qui consacre le droit de toute personne, en
matière civile, à ce que sa cause soit entendue équitablement.

Le contentieux traité par les CRCI se
rapporte à la matière civile. Je rappelle par ailleurs
que lorsque les autorités administratives indépendantes
tranchent des litiges à portée patrimoniale,
l’article 6 est applicable. C’est donc opportunément
que l’applicabilité de l’article 6 à cette procédure
peut être invoquée même si la possibilité de
saisir après notification de l’offre de l’indemnisation
de l’ONIAM une juridiction constitue une
garantie.

Or, si la participation du Commissaire du gouvernement aux délibérations de la formation de jugement du Conseil d’État a été jugée contraire au
droit à un procès équitable (Kress c/ France, 7 juin
2001), la participation du représentant de l’ONIAM
à l’élaboration de l’avis de la CRCI me semble pour
le moins sujet à caution...

Au-delà de ce problématique mélange des genres,
une séparation plus nette de l’organe décisionnel
(un tiers indépendant et impartial qui déciderait du
régime d’indemnisation et du montant de l’indemnisation)
et de l’organe payeur serait une garantie
si ce n’est d’une indemnisation plus juste du moins
d’une procédure transparente.

La CRCI rend un avis sur le régime de responsabilité
et la nature des postes de préjudices indemnisables
mais l’office, le payeur, non lié par l’avis qu’il
dit suivre aujourd’hui dans 99 % des cas, demeure
seul maître de la décision finale.

Rapprochons ce mécanisme de celui du Fonds de
garantie des victimes d’infractions et d’actes de terrorisme,
premier fonds du genre. Ces offres
d’indemnisation demeurent soumises au contrôle
d’un véritable organe décisionnel, juridictionnel de
surcroît, « les CIVI » auquel l’organe payeur doit in
fine se soumettre, au contraire des commissions sui
generis (CRCI notamment) instituées depuis lors.
Je dois néanmoins tempérer mon propos : le Fonds
de garantie « s’émancipe » lui aussi de la tutelle de
la CIVI qui tend à s’apparenter depuis la loi du
9 mars 2004 à un organe d’homologation...
C’est symptomatique du déplacement de la prise de
décision d’indemnisation.

b – Un fractionnement artificiel de la procédure

L’instruction de la demande d’indemnisation de la
victime par les CRCI est fractionnée, artificiellement
fractionnée, ce qui n’est pas de nature à rendre
lisible cette procédure pour les victimes.
La première étape est celle de l’expertise médicale,
phase essentielle du processus, suivie de la seconde
étape, la réunion de la Commission, à laquelle la
victime peut, sur sa demande, être entendue. Une
parenthèse pour rappeler l’opportunité d’une assistance
: il est des plus impressionnant pour la victime
de se présenter devant une table ronde de 20
membres outre le président, dont elle ignore qui ils
sont et leur qualité...

C’est à ce stade que se décide le régime d’indemnisation
(solidarité nationale, responsabilité pour
faute, l’un n’étant pas exclusif de l’autre) et de
l’étendue des préjudices indemnisables.

La troisième étape est celle de la détermination du
montant de l’indemnisation par l’ONIAM lequel s’il
suit l’avis de la commission, suit tout l’avis mais
rien que l’avis. Il était donc impératif devant la
CRCI d’évoquer les chefs de préjudice que l’expert
n’aurait pas relevé ou aurait sous-estimé, car à ce
stade il est trop tard. D’ailleurs, le dossier transmis
à l’office comprend l’avis de la CRCI, le formulaire
initial de demande d’indemnisation et le rapport
d’expertise. Exit les observations écrites de la victime
ou de son conseil produites devant la CRCI...
Une séparation étanche entre les différentes étapes
de l’indemnisation ne permet pas la prise en
considération de la problématique exposée par la
victime dans sa globalité et rend le processus
d’indemnisation obscur. Définir les postes de préjudices
ne peut s’effectuer sans considération des
conséquences indemnitaires et, a contrario, la liquidation
de chaque poste impose de prendre en
compte la personne dans sa globalité et donc les
différents postes de préjudices. C’est ainsi que l’on
tend vers une indemnisation juste et intégrale.
Intégrale... sous réserve que l’application d’un
barème d’indemnisation n’y fasse pas obstacle.
C’est là mon deuxième cheval de bataille.

II. QUAND LE RÉFÉRENTIEL TEND À
DEVENIR L’UNIQUE RÉFÉRENCE

Les barèmes inquiètent notre profession ainsi que
les associations de victimes. Cette question a
occupé ce colloque en 2005.

1 – Une référence autoritaire

Les barèmes des Fonds, le « référentiel indicatif » de
l’ONIAM, dénomination politiquement plus correcte,
ont été établis en considération d’une philosophie
spécifique (celle de solidarité et non de la
responsabilité), de données économiques particulières
(la gestion des fonds publics) et de façon
« autoritaire ».

Je ne conserve pas en effet le souvenir d’une discussion
associant les professionnels du dommage
corporel (tels magistrat, avocat, associations de victimes)
alors même que ces barèmes ont des conséquences
au-delà de la simple gestion administrative
des fonds.

Si le référentiel a été rendu public, et que sa « transparence
» est érigée en garantie, tel n’est pas le cas
s’agissant de son processus d’élaboration...
J’ai entendu Dominique Martin (1) tenter de nous
démontrer, chiffres et courbes à l’appui, que
l’indemnisation par l’ONIAM est du même niveau,
voire plus, que celle de nos juridictions (entre dans
ses statistiques, je suppose, l’indemnisation par les
juridictions administratives...). J’ai également
entendu Roger Beauvois (2), plus réservé sur cette
question. Aujourd’hui, ma pratique et celle d’un
bon nombre de confrères avec lesquels je partage
cette préoccupation, atteste de ce que le référentiel
n’est jamais (au mieux, très rarement) écarté par
l’ONIAM. On est ainsi loin d’une véritable discussion sur le montant de l’indemnisation, le barème
étant imposé trop souvent comme un véritable
« tarif ».

Pourtant, la notion de réparation intégrale, officialisée
par la loi du 4 mars 2002 (article L1142-17 du
CSP), n’est pas que pur concept intellectuel. L’effectivité
d’une réparation intégrale me semble être
mise à mal par le « droit des fonds », pour plusieurs
raisons.

D’une part, réparer intégralement implique d’individualiser
l’indemnisation de chaque victime, ce qui
d’emblée, s’oppose à tout type de barèmes. La personnalisation
de l’indemnisation (et encore...) ne
s’effectuerait plus qu’au niveau de l’évaluation des
postes de préjudice à caractère économique
laquelle s’effectue nécessairement in concreto.
Cette « dépersonnalisation » de l’indemnisation
m’évoque les « peines planchers » : la peine « individualisée
», celle prononcée en considération des
éléments de personnalité propre à l’auteur devient
(dans certains cas) l’exception, la « référence fixée
in abstracto », la règle. Il en est de même avec un
référentiel d’indemnisation, l’indemnisation plancher
est la règle, y déroger est, si ce n’est illusoire,
du moins exceptionnel. C’est dans l’air du temps...

Le caractère figé du barème est également à relever.

L’évolution jurisprudentielle est de nature à
tendre vers une indemnisation plus juste et plus
adaptée. Jean-Gaston Moore nous rappelait ce
matin que certains postes de préjudice (notamment
le préjudice sexuel) résultaient directement de
cette évolution laquelle aurait été entravée si
barème il y avait eu. Le « droit des fonds »
permettra-t-il cette évolution ?

D’autre part, l’indemnisation est prétendument
intégrale mais les fonds affectés à ladite indemnisation
intégrale par les Fonds, par ailleurs soumis
au formalisme d’une comptabilité publique, sont
limités... Antinomique nécessairement.

2 – Une référence dévoyée

Le champ d’application d’un barème est en principe
limité à la procédure d’indemnisation pour
lequel il a été édicté : l’ONIAM applique son
barème, le FIVA le sien. Devant nos juridictions,
l’appréciation souveraine des magistrats demeure la
règle.

On assiste pourtant à une extension officieuse de
ces barèmes, notamment celui de l’ONIAM présenté
par d’aucun comme une « référence » objective.
Il n’est plus rare en effet pour le débiteur de la
créance indemnitaire, l’assureur, de conclure au
caractère « disproportionné » d’une demande de la
victime et de se référer expressément à la norme
ONIAM. Vous me direz que j’ai mauvais esprit, mais
si un assureur considère que l’indemnisation telle
qu’elle résulte du barème de l’ONIAM est « satisfactoire
», c’est que l’avocat de victimes que je suis
ne doit s’en satisfaire...

Aussi révélateur de ce dévoiement, un commissaire
du gouvernement que j’entendais récemment
conclure à la responsabilité pour faute d’un établissement
de santé et qui invitait la juridiction administrative
à indemniser la victime au vu du barème
de l’ONIAM...

Demeurons vigilants et rappelons les conditions
d’élaboration de tels barèmes, leur philosophie et
finalité pour éviter tout dévoiement et, in fine, un
nivellement par le bas des indemnisations.

CONCLUSION

Dans le domaine de la responsabilité médicale,
l’ONIAM devient l’un des premiers payeurs (en
paiement direct et dans le cadre de la substitution
de l’assureur), et l’on peut penser que sa position
va aller grandissante car les CRCI ont vocation à
constituer une voie privilégiée d’accès au droit pour
un grand nombre de victimes qui n’ont pas le
niveau de connaissance ou de ressources suffisant
pour engager une procédure judiciaire ou mener
seules une transaction avec un assureur.

La présence d’un professionnel aux côtés de la victime
(même s’il est facile de me faire le grief de prêcher
pour ma paroisse) devrait permettre une discussion
contradictoire et rétablir une égalité des
armes ; l’objectif étant d’éviter les travers d’un
« droit des fonds » exorbitant du droit commun de
l’indemnisation du préjudice corporel.

À défaut, le risque est de voir se judiciariser ces procédures
initialement conçues sur un mode « amiable
» ; les professionnels du dommage corporel que
nous sommes n’ayant d’autre solution pour soumettre
l’étendue et le montant de l’indemnisation
d’un dommage à un réel débat contradictoire, tranché
par un tiers indépendant, impartial et non lié
par un barème, que de recourir à la juridiction
compétente...